[Achevé?] La vieille garde essaye de relever le crotale

Le capitaine Lafleur était ébahi du niveau de ce nouvel arrivant qui avait si facilement fait tomber le propriétaire des lieux. Le duel avait été magnifique, et c'est avec regret que Lafleur avait vu son vieil ami retomber dans son éternel péché: le manque de confiance face à un adverse sûr de lui. On ne pouvait pas laisser la situation en état, et il fallait sonder un peu plus loin encore l'art de la rixme de ce Guillaume de Rochebrune:

Sieur de Rochebrune après votre joute
Avec le tenancier de ces illustres lieux
Vous avez la valeur plus personne n'en doute
De venir mesurer votre rixme à plus vieux.

Car même si la valeur n'attend pas l'âge
Laissez-moi vous montrer tel un renard rusé
Qui reconnais comme fin votre brettage
Qu'un jeune premier peut à terme s'émousser!!

Mousse, écoutez: mon sang est certes peu commun
A celui qui bientôt sortira de vos plaies;
Mais il est avenir, et plein de lendemains
Plutôt qu'ancêtre vil, impotent et replet.

Vous allez grimacer, vieux singe, sous les vers
Vifs qui me sont permis par ma pleine jeunesse!
Place au duel! Le sage en sa barbe d'hiver
Va bientôt s'empêtrer! Aux armes, votre altesse!

Halte, est-ce là vos premières paroles
Dans ce duel décidant du plus bel âge?
Vous usez du vers comme d'autres rigolent,
Sans vous soucier de la vérité de l'adage.

Votre jeune sang vous fait perdre raison
Pour me parer d'attributs de sélénité
Lors que votre corps avec son peu de saisons
Ne connaît pas moitié de ce qu'est volupté.

Mes armes sont celles que vous me laissez prendre
Vous regardant vous étrangler sans coup férir.
Du vieux singe vous auriez dû apprendre
A ne rien voir, ne rien ouïr, ne rien dire.

Dirigez vos vers contre ma poitrine
Plutôt que d'en faire un vain bouclier
Et de ressasser ce que l'on devine.
Douze vers tassés sur vous repliés!

Moi, vibrant, je pique et je fends les airs
Avec la métrique et la nouveauté
Prenez cette botte en votre derrière
Et cette leçon pour vous raboter!

Mon jeune ami en si peu de vers
Vous offrez votre vie en diletente
Mais le temps ne faisant rien à l'affaire
Mourrez pour des idées mais de mort lente.

Juste après avoir tant avancé
Evitez cette parade-riposte
Qui vous laisse là quasi condamné
Et transperse l'ame comme à Faust.

La lutte étaiet de plus en plus cadencée et son adversaire avait dès longtemps quitté sa posture défensive; risquant le tout pour le tout, Guillaume se proposa de se fenre encor plus avant afin d'exploiter leléger malaise que Lafleur laissait deviner par ses vers déséquilibrés.

Ostensible est votre faiblesse :
Vos phrases sont mal recousues;
Ce que votre loghorrée blesse
Ce sont les oreilles, Jésus!

Vous semblez mal vous adapter
A la vigueur de l'entretien,
Seraient-ce vos vieilles années
- Qui déjà défont votre teint - ?

Le capitaine Lafleur s'en voulait de sa précédente répartie qui n'en avait que le nom. Il lui fallait réagir à ces attaques de plus en plus ardantes:

Quel manque de maturité flagrant
Que de vouloir associer maintenant
Lyrisme et ardeur en un seul coeur,
Et cracher cela avec tant d'ardeur !

Vos vers constituent de bien belles esches
Mais ne vous permettront pas riche pèche
Car, manquant de temps pour devenir mouches
Vos quatrains novices n'obtiennent touches !

La contre-attaque désorganisée mais virulente et inattendue de son adversaire qui revenait aux décasyllabes forca Guillaume à prendre de la distance et de la régularité.

Tout choit, monsieur, de vos discours jusqu'à l'abîme!
Vous critiquez -mais c'est en fait un astéisme-
Ce qui vous manque : un tout de sueur et de sublime.
Et Force et Beau? Mais c'est de là que naît la rixme!

Puis, se fendant à nouveau :

Quant au temps, monsieur, en manqueriez-vous
Pour tirer l'épée? Je vois le plastron
Qui dit "je suis vieux, modérez vos coups!"
Mais point d'arme; en fait, je vous crois poltron!

La précédente tirade de Guillaume avait déstabilisé Lafleur dans sa forme peu commune. Afin d'exprimer au mieux sa pensée, il décida ainsi d'allonger son attaque pour essayer de faire mouche:

Tromperiez-vous jusqu'à votre propre esprit
Pour relier dans vos vers la force au pouvoir
Et la beauté à l'émotion; quel désespoir.
Moi je le clame bien haut: AMOUR, ANARCHIE !!

Légèrement essoufflé, Lafleur reprit avec plus d'assurance:

Vous vouliez mes armes, vous aurez mon blason,
Mon mantra, ma philosophie, ma religion,
Qu'un mélange de sagesse et d'intuition
Rapetisse les vôtres en comparaison !!

Les passes rapides de Lafleur contraignirent Rochebrune à s'adapter à son escrime, tout en prenant de la distance.

Sonnez, sonnez, mon cher, les cloches du péril!
Je m'en vais vous donner quelqu'utile leçon.
L'anarchisme c'est l'ordre, oté du joug servile,
Et sa grandeur réclame une belle scansion!

A bas vos religions! Ni Dieu ne veux, ni maître!
Hors vos chinoiseries! Respectez notre langue
Avant de l'enrichir, et avant d'y admettre
Quelque neuf exotisme. Ou vous serez exsangue.

Lafleur se délecta de l'intervention presque parfaite d'un adversaire qu'il considérait déjà comme un grand ami. Malgré son estime pour Guillaume, il lui fallait tout de même répondre et repartir à l'attaque:

Même jeune vous connaissez donc vos classiques
Mais lors que vous n'y voyez que vile scansion
Vous oubliez que l'Amour pour moi est seul cacique.
Et cent fois métisée est ma révolution !!

Je me rends compte maintenant que votre age
Ne vous a pas permis encore de comprendre
Que fougue anarchiste n'égale pas rage.
Seul l'Amour peut vous faire pleinement entendre !!

i Caramba ! La défense de Lafleur ne présentait aucun défaut, là où Guillaume croyait voir un large point faible. Mieux valait accepter l'initative prise par le vieux capitaine que de se mettre de plus en plus en difficulté.

Tendresse et passion, dites-moi, vieil ami
Ne sont point qualités accordées au jeune âge?
Moi qui croyais qu'amour rimait avec folie,
Folie avec printemps, comme hiver avec sage...

Bah! S'il vous plaît de croire au manque de vertu
De la franche amitié mêlant les cheveux longs,
Accordez-moi la fougue et le désir têtu
De mourir par amour - seul un jeune est si con

Lafleur fut surpris devant l'étalage de tant de passion. Il lui fallait faire retrouver raison à son jeune duelliste:

Je croyais vous avoir déjà réprimandé
Concernant votre vile propension suicidaire.
J'ai besoin de verve, pas que vous radotiez,
Afin de m'extasier de nos passes de vers.

De votre fougue servez-vous comme un tremplin
Mais par pitié point vers le grand et dernier saut.
Persistez à pendre la vie à un filin
Et je couperais le votre sans soubresauts.

Sot, je ne pends ma vie qu'à deux fil : un cheveu
Parfumé de passion, soit un rayon de lune.
Celui de votre épée me déplaît quelque peu
Alors je vis, alors je frappe et j'importune!

Et qu'importe une larme? Un fer qu'on refroidit
Aux pleurs est infernal pour qui se fait ferrer!
Et mon dard fortuné vous frappe de sa vie
Qui frissonne en mon bras ! - s'il fond, vous souffrirez...

Rétractez votre dard vous vous rapprochez trop
Du brasier des mourants enfoui loin en mon coeur:
Révolutionnaires, poètes, mes héros
Qui n'ont vu triompher leur séditieux labeur.

J'ai déjà subi fers et autres instruments
Mais en comparaison vos violentes tortures
Ne sont rien par rapport à un ami absent.
Pour eux je prends ce dard, voyons ce que j'endure ...

Endurant chevalier dont la peau distendue
Quoique ridée parfois fait office d'armure
Apprenez don ceci : l'on peut avoir perdu
Son épée sans son sang; le duel sans blessure

Emotif chevalier! Mais où est votre coeur
Pour sentir qu'un ami n'est jamais vraiment loin!
Vous avez fait, je crois, une grossière erreur
En voulant démontrer ce que vous n'avez point.

Pointer d'un doigt mon age ne vous permettra pas
De vous dispenser, page, d'affronter le trépas
D'un coeur qui ne peut pas, sans consommer breuvages
tassés tels la Grappa, éviter le calage !!

Maintenant que vos fers sont bien ancrés en moi
Vous ne pouvez plus faire quelque saut de chamois.
Venez donc avec moi aux portes de l'enfer
Là où malgré la foi n'existe plus de Frères.

Vos sentiments cachés, devant telle épreuve,
Vous feront là flancher et revêtir peau neuve.
Traversons donc le fleuve qui vous fera aider
L'orphelin et la veuve malgré vos cruautés.

Otez votre pommeau de cette blanche main
Et joignez-la plutôt à la soeur que je tends
Nous sommes tous les deux l'un pour l'autre, et j'entends
Qu'un status quo soit propre à nous rendre compains!

» [Achevé?]Gaspard Enkelhud-Monsieur
» [Achevé]Guillaume de Rochebrune - Thomas Van de Prüijt
» [Achevé?]Où Lucio Libertad rencontre un importun personnage